Dalila, 35 ans, diplômée au chômage : «Je cherche un travail, je risque 1 an de prison!».

Publié le par Espace dédié à la femme maghrébine

Dalila Touat, 35 ans, militante au sein du comité national pour la défense des droits des chômeurs, a été arrêtée par la police mercredi 16 mars à Mostaganem, à l'Ouest d'Algérie. Interrogée puis placée en garde-à-vue durant 24 heures, elle doit comparaitre le 28 avril prochain pour incitation à un rassemblement non armé par le biais de distribution de tracts. DNA a recueilli son témoignage.


Je m’appelle Dalilta Touat. J’ai 35 ans, je suis diplômée en physique à l’université d’Oran. Originaire de Mostaganem, je suis au chômage depuis ma sortie de l’université.Plus de huit ans déjà!

 

Récemment, j’ai décidé d’intégrer le collectif pour la défense des droits des chômeurs pour sensibiliser les gens sur le calvaire des jeunes qui souffrent de ne pas pouvoir trouver un emploi.

Je ne suis pas encartée dans aucun parti politique. Je ne fais pas de politique. Je n’en ai jamais fait. Je revendique simplement mon droit à un poste d’emploi.

Lundi 14 mars, j’ai distribué une dizaine de tracts de ce collectif à Mostaganem. Ce jour là, j’avais remarqué que j’étais suivi par des hommes en civil, certainement des policiers. Je n’ai pas prêté attention.

 

Mercredi 16 mars, je me suis rendue vers midi au bureau de la poste pour retirer l’argent de ma mère quand trois hommes en civil ont demandé après moi.

« Madame vous distribuiez des tracts hier ? Vous appartenez à quelle association ? A quelle organisation ? », m’interrogent-ils avant de me demander de les suivre.

Ils m’embarquent dans une voiture direction le commissariat. Ils me suivaient donc depuis lundi...

Sur place, je suis soumise à un premier interrogatoire. Qu’est ce que vous faites ? A quelle organisation appartenez-vous ? Qu’est ce que vous demandez ? Votre organisation est-elle légale? A-t-elle un agrément ? Les policiers sont courtois. L’interrogatoire dure un quart d’heure.

Ensuite, je suis introduite dans le bureau du commissaire. Celui-ci me fait une leçon de morale, sans aucune agressivité. Il me dit qu’il faut d’abord bien élever nos enfants avant de faire des revendications. Je lui explique calmement ma situation.

Je suis au chômage depuis 8 ans. Depuis que je suis sortie de l’université, je n’ai pas pu trouver un emploi. J’ai enduré des épreuves. J’ai un diplôme, mais je n’ai pas droit à un travail dans mon pays. J’ai tout essayé, frappé à toutes les portes. En vain. Je demande simplement un travail. Je ne fais pas de politique. Tuez-moi, ou jetez-moi à la mer si vous voulez, mais je continuerai à militer pour avoir le droit à un travail.

 

Fin du premier interrogatoire.

 

Je suis conduite au commissariat central où se trouve la police judiciaire.

Je suis confrontée au commissaire. Celui-ci m’accuse aussitôt d’inciter les gens à des rassemblements non armé et de distribuer de tracs.

Il me dit que notre action est illégale dans la mesure où notre organisation n’est pas agréée. L’audition dure plusieurs heures. On m’interroge sur tout, même sur les faits les plus anodins.

L’interrogatoire terminé, je suis conduite à l’hôpital pour une visite médicale. On m’explique que c’est la nouvelle procédure. Pour s’assurer que je suis en bonne santé et que je n’ai pas été maltraitée. On m’établit un certificat médical.

J’avoue que je n’ai pas été agressée, ni mal traitée par les policiers.

J’ai l’impression d’être une délinquante. Une criminelle.

 

Retour au commissariat. On m’autorise à passer un coup de fil. Le premier depuis mon arrestation. Je préviens ma mère que je suis arrêtée par la police.

On m’informe que le directeur de la sureté veut me voir dans son bureau. Nouvel interrogatoire en présence d’une personne qui ne s’est pas présentée.

Je répète que je suis diplômée, au chômage depuis huit ans. A 35 ans, à l’âge où je peux fonder un foyer, je cours derrière un emploi. Je revendique mon droit à un travail.

 

Je répète que je ne distribuais pas des tracts pour inciter à un rassemblement, mais pour faire connaitre nos revendications. Il ne s’agit pas d’appeler à la révolte, mais de sensibiliser les gens sur nos revendications.

« Vous savez, la conjoncture actuelle n’est pas bonne », me dit ce responsable. Ensuite, il fait les louanges du wali de Mostaganem. «  Si Mr le wali vous montre les statistiques des crédits qu’il a accordé aux gens, vous ne croirez pas vos yeux… ». Je veux bien le croire.

Ces crédits, je n’ai pas vu la couleur. Mes frères n’ont  rien vu non plus de ces crédits. Où sont-ils sont ces crédits ? Les crédits sont accordés aux gens qui ont du piston, ceux qui ont le bras long. Nous, les gens du peuple, on n’en a pas droit.

 

Retour chez les policiers. Une discussion s’engage avec eux. « Que voulez-vous, nous sommes un pays du tiers monde », me dit un policier. Je réponds : « Pourtant, dans le journal Jeune Afrique, ils disent que l’Algérie est un pays émergent…»

Le commissaire fait l’éloge du chef de l’Etat : « Le président a serré les vis aux responsables, me dit-il. Il est en train de rétablir les droits de l’homme en Algérie. Il est convaincu qu’il faut que tout le monde aie ses droits en Algérie… »

 

Le commissaire croit fermement, ou il essaie de me faire croire, que je suis une marionnette entre les mains de dirigeants politique. « Madame vous étiez manipulée, avouez-le… Et vous n’arrivez pas à dire que vous étiez manipulée…»

 

Dans la soirée, ma mère me rend visite au commissariat. Elle me ramène le diner. Je vais donc passer la nuit au commissariat.

 

Ma première nuit dans un poste de police. Je revendique mon droit à un emploi, je me retrouve en garde-à-vue.

Le procureur-adjoint arrive sur les lieux. Il me demande si les policiers m’ont lu mes droits. J’ai dit non ! Je suis délestée de mon téléphone portable. Fouille au corps.

On me conduit ensuite dans une cellule. Les murs sont repeints, les matelas et les couvertures sont neufs. On m’explique que depuis quelques semaines, les policiers ont reçu des instructions pour améliorer l’ordinaire des gens placés en garde-à-vue. Un policier me dit dans un français approximatif : « C’est les droits de l’homme madame… »

Les droits de l’homme ! Je me demande de quels droits de l’homme parle-t-il. Je revendique mon droit de l’homme pour un poste de travail, je me retrouve en garde-vue-à vue dans un commissariat de police !

La nuit aura été longue dans la cellule.

Le lendemain, les policiers m’établissent une fiche anthropométrique. Je suis désormais fichée comme une criminelle.

 

Je suis présentée devant le procureur adjoint. Je veux avoir un avocat. Je demande à ma famille venue me voir s’il y avait une possibilité d’avoir un avocat. Opération compliquée. Les avocats ne sont pas tous disponibles. Et puis, je ne m’y connais en rien. Ma famille non plus.

C’est la première fois de ma vie que je me retrouve dans une telle situation. Je revendique un travail, je me retrouve poursuivie en justice.

Finalement, je rentre toute seule dans le bureau du magistrat. L’entretien ne s’est pas bien passé.

 

J’explique au procureur-adjoint que tout ce que je cherche c’est un travail.  Je ne fais pas de politique. L’audition dure plusieurs heures.

 

Je quitte le bureau du magistrat. Les greffiers me remettent un document : une citation à comparaitre le 28 avril 2011. Chef d’inculpation : incitation à un rassemblement non armé par le biais de distribution de tracts.

 

Je risque une année de prison.

Une année de prison pour avoir revendiqué mon droit à un travail.

 

In DNA

Vendredi, 18 Mars 2011, 13:16 | Propos recueillis par Farid Alilat

http://dna-algerie.com/politique/42-interieure/1522-dalila-35-ans-diplomee-au-chomage-lje-cherche-un-travail-je-risque-1-an-de-prisonr.html

 

Publié dans Politique

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