Cérémonies de mariage à Tizi – n’Berber et Aokas :

Publié le par Samir REKIK

Les fêtes de mariage sont, dans la plupart des villages des communes de Tizi – n’Berber et Aokas, de hauts lieux d’accolements pour les jeunes célibataires mariables de la région. Elles constituent, aussi,  l’un des rares endroits où la drague est tolérée, avec « assignation à résidence », en présence des membres de la famille et proches. Les parents, en l’occurrence les mères, d’ailleurs également sur le qui-vive, à l’affût d’une éventuelle belle-fille ou d’un potentiel beau-fils pour leur descendance.

 

Q

uand il ne reste que quelques jours avant le mariage, les deux familles réuniront chacune de leur côté les femmes de leur village pour rouler le couscous. Dans certains villages, ce ne sont que les femmes de la famille qui viendront rouler le couscous. Dans d'autres par contre, c'est une femme par maison. Ainsi le village en entier participera dans cette tâche. C'est avec ce couscous que les familles du mari et mariée prépareront la solennité qui sera servi aux gens du village ainsi qu'aux invités d’autres régions avoisinantes.

A Tizi – n’Berber ou à Aokas, même à Tichy et Souk el tenine, les fêtes, en majorité, se tenaient dans les maisons : il est vrai que la plupart des maisons ont de vastes cours, limité par des clôtures en briques, en sillage ou ifergan, qui permettent de dresser des tables et de recevoir, en même temps, plusieurs dizaines d’invités, même des centaines. Et puis, on peut toujours espérer l’aide des voisins qui n’hésitent pas à prêter leur domicile pour la circonstance.

 

Qui participera, qui ne participera pas ?

Répondre à une invitation de mariage n’est pas toujours désintéressé pour les célibataires des villages : Medkour, Tiboualamine, Taliouine, Tazrourt, Akkar, Ait – Aissa, Ansa... Pour les mères, en général, c’est les plus âgées de leurs filles qui seront autorisé au festin. Ceux qui n’ont pas encore « vu » leur chance y venir … Rencontrer son futur époux, pourquoi pas ? Car les cérémonies sont des moments de sélection pour faire son choix … Les femmes mariables subissent, en général, plus de pression sociale que les hommes. L’horloge tourne et le temps passe. Et quand la trentaine les guette, le temps presse. Elles se retrouvent de plus en plus confrontées au regard et aux remarques des autres. Pis, certaines s’aventurent dans les mariages en espérant faire une rencontre pour échapper à leur sort et ne pas finir vieille fille. Dans pas mal de cérémonies, les plus chanceuses ont été demandées comme épouse lors de la visualisation de cassettes vidéo souvenir. Qui dit mieux ?

Cependant, la discrétion est toutefois de rigueur devant un parent, voisin autoritaire !!! Et pour cause : tout le monde vous surveille lorsque vous vivotez vos yeux, de gauche à droite et vice versa, à la quête de l’âme sœur, sur le lieu de la chasse avec pour objectif, parfois, d’avoir enfin la bague au doigt...

 

L’ambiance pré – cérémoniale :

Etre le plus beau des beaux et la belle des belles chez les célibataires mariables, telle est l’ambiance pré cérémoniale. Pour les femmes, l’exfoliation de la peau, le maquillage à outrance et une coiffure de princesse sont le strict minimum. La tenue traditionnelle, la robe kabyle, faite sur mesure, est plus que nécessaire. Certaines se parent de leurs plus beaux bijoux (gourmette, collier, bague …) afin de se présenter sous leur meilleur jour et mettre toutes les chances de leur côté pour charmer l’homme de leur vie. Certaines vont même jusqu’à louer des robes ou à en emprunter à des amies.

 

Mariables au qui-vive !

Tout se calcule, en minutes et en heures et la soirée, enfin,  approche ! Les hommes, proches et membres de la famille, activent aimablement pour la bonne réussite du festin. Tandis que, les mariables, tels des chasseurs de gibier, regardent, scrutent, mijotent, évaluent,  pour repérer la femme / l’homme de leur choix… Les astuces sont nombreuses : Pour certains, s’introduire dans la piste de danse (seul les jeunes de la famille y sont autorisé !) Pour d’autres, pas question d’y aborder celle qu’on veut comme future femme devant l’ordonnateur de la cérémonie et parents, sagesse oblige !!! L’astuce est simple, transmission du message de « premiers pas » à sa petite soeur, son frère ou un(e) petit(e) cousin(e). Les enfants, au-dessus de tout soupçon, deviennent ainsi des ambassadeurs de l’amour en transportant les messages de cœur de leurs aînés. Car les mariages demeurent un événement où l’on se rend en famille. Les parents sont donc là...  Lorsqu’il y a excès de zèle, la personnalité chargée du bon déroulement de la cérémonie, censeurs des bonnes mœurs, y chassent, avec énergie, tout jeune homme, y compris les jeunes frères du marié, qui tentent de se déplacer entre les femmes et jeunes filles. Selon la tradition, pour une poignée de femmes âgées, une soit disante liberté leur est permise d’y franchir le seuil en sens inverse, c’est – à – dire, échanger quelques mots du côté des hommes proches de la famille, afin de s’enquérir de la situation sociale de leur progéniture – le pourquoi de l’absence de sa fille mariée, de son frère aîné - toujours, sous le regard réprobateur de l’ordonnateur, convié, à l’occasion, pour diriger la fête !!!

La contrainte exercée par les hommes sur les femmes et jeunes filles, pendant les cérémonies d’union, par la dislocation, par l’exigence d’enfermement de leurs expressions parlées et dansées ne parait pas non plus être un phénomène purement circonstanciel. Ce qui est dû aux circonstances, c’est l’excès de rigueur manifeste. Mais la séparation, parfois, de la fête en deux, celle des femmes et celles des hommes, quoique moins sévère, est constante.

 

Si les hommes la justifient par la pudeur, par l’incongruité qu’ils y auraient à ce que d’autres hommes, des gens hors parenté, puissent voir leurs femmes en train de danser, s’ils redoutent la publicité des expressions sensuelles féminines ? Ne souhaitent – ils pas taire aux oreilles étrangères la contestation qu’elles peuvent exprimer ? En dansant avec un foulard à franges (amendil) enfilés par –dessus de la robe n’Tizi – Ouzou où jupe à moitié transparente et l’autre fichu brandit à bout de bras, les femmes, en particulier, les jeunes filles, usent – elles d’un simple contre – pouvoir, ou d’un pouvoir réel que les parents se doivent d’enclore entre les murs de la maison ? Mais n’est – il pas non plus indifférent que les « gardiens du temple », allèguent les nécessités de la pudeur, et par suite leur gêne à l’égard des danses féminines ?

L’expression corporelle qui se donne libre cours à l’occasion des cérémonies de mariage, fiançailles, réussite (6ème, BEF, BAC …) entre femmes, sous le regard de leurs parents et voisins, démontre leur pétulance dans ce domaine. Certes, ce sont les seules opportunités, rares, où elles peuvent enfin se libérer de tant d’Aa Key et laisser leurs corps s’exprimer dans le bastringue !!! N’a – t’on pas dit que la danse est la possibilité, pour la femme kabyle, de s’en servir comme une arme pour prendre autorité sur leur mari et parent ?

 

Mère – fille, en complicité vicieuse !

La majorité des mères ferment sciemment les yeux. Certaines, sont de la partie !!! Elles cultivent le vœu secret de pouvoir ajuster leurs filles ou tout simplement qu’elles plairont à un homme gentil, timide, modeste, même un peu taciturne, qu’elles espèrent de bonne famille et avec une bonne situation. Elles espèrent aussi voir, lors de la fête, une fille qui pourrait être une éventuelle épouse pour leur fils. Donc, les parentes laissent faire tout en surveillant qu’il n’y ait pas de débordement. On s’assure tout de même que la personne qui s’intéresse à leur progéniture ne soit pas un moins que rien, car il en va de l’honneur de la famille.

 

D’autres proches, n’hésitent pas, pour le bonheur de leur tendre cousin, voisin à apostropher certaines filles pour connaître leur âge, le nom de leurs parents, là où elles habitent, un curriculum vitae traditionnel … Quoi ? Tous les moyens sont bons pour trouver la perle rare et faire de bonnes connaissances. L’avantage majeur des mariages est lié au fait que l’on peut savoir rapidement à qui on a à faire. Ils constituent une occasion unique de voir en direct les parents des célibataires et de connaître d’un coup d’œil le niveau social de tel homme ou de telle femme, mais surtout de se faire une opinion sur les parents de la personne.

 

Lâlem tilawin ou la magie des femmes :

Quoi qu’il en soit, moins nombreuses sont les opérations de magie, ou de sorcellerie qui, presque exclusivement aux mains des femmes – mères, visent à leur donner des moyens d’action sur et souvent contre les hommes, surtout en milieu montagnard. Parmi les femmes, les connaissances magiques sont plus particulièrement l’apanage de marginales, de hors statut (de non mères) : vieilles filles surtout, veuves et femmes stériles… Le but recherché de ces pratiques dirigées vers les hommes, en particulier les jeunes mariables, durant les cérémonies de mariage, tient, en général, à inverser les rapports homme / femme en asservissant l’homme à la volonté féminine : ainsi, il peut s’agir de contraindre un homme, présent lors de la cérémonie, à demander une certaine femme en mariage ou bien à la femme de le dominer. Certes, ces pratiques sont illicites, contrairement à la religion, mais, c’est ça lâlem tilawin !!!

Vieille ou jeune, mariable ou « immariable », proie ou prédateur, une chose est claire dans les fêtes de mariage à Tizi – n’Berber ou à Aokas : Beaucoup y viennent pour qu’un jour ce soit leur tour. Et pourquoi pas ?

 

 

Par Samir REKIK

 

 

Publié dans Traditions et coutumes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article